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L'ECOLE DANS L'ERRANCE

 

Bénin : l’école dans l’errance

 

Les gesticulations ou mises en scène observées ça et là ne sauraient venir à bout d’une l’école en déclin. L’on se risquerait à une inflation de publications si l’objectif était de faire l’inventaire des causes et manifestations de la baisse de forme de l’école béninoise. Je me propose de partir de certains événements pour  peindre le tableau sombre de cette institution, avec en pensée que l’image de l’école projetée finirait par susciter pitié et émouvoir ceux qui en ont la charge.  

 

1-Le jeudi 3 mai 2012, la chaîne de télévision Canal 3 projeta les images d’un mouvement de protestation des apprenants du lycée technique agricole (Lta) de Kika. Les apprenants se sont mis en grève au motif que pendant 27 mois, leur formation s’est déroulée sans que le corps enseignant eût besoin d’équipements didactiques pour la maîtrise et l’approfondissement des connaissances. Ils déclaraient n’avoir utilisé pendant toute la période, que des boîtes de tomate perforées en guise d’arrosoirs. Le directeur qui n’a pas rejeté ces récriminations a argué de ce que les équipements didactiques étaient en instance de commande ; il a déclaré ensuite que même si les équipements étaient utilisés au cours de la formation, très peu d’apprenants pourraient avoir les moyens d’en acquérir au sortir du centre.

 

2-Le jeudi 24 mai 2012,  il y eut sur la chaîne Golfe TV, le reportage d’une situation insolite au collège d’enseignement général de Anavié, dans la municipalité de Porto-novo. En effet, le terrain de sports a été transformé en un théâtre de jeux par des inconnus. Ces jeux attractifs mobilisent des personnes extérieures à l’établissement et des élèves qui désertent les cours. Le collège est devenu un no man’s land. Interrogé sur son indifférence face à une cohabitation jugée encombrante et nuisible aux activités pédagogiques, le directeur a pu déclarer : « aller intervenir pour ces genres de chose, je ne sais pas ce que ça peut donner. Nous allons écrire à la mairie pour voir ce qu’on peut faire ».

 

Voilà deux situations qui ne sauraient laisser aucune personne sensée indifférente, d’autant que ce qui en cause, c’est la formation et l’éducation de la jeunesse. Kika et Anavié renseignent par ailleurs sur le management et la qualité des hommes aux commandes dans la plupart de nos administrations. Au demeurant, ils sont révélateurs des limites touchant la rigueur et le sérieux dans les modalités de désignation des responsables des structures administratives.

 

 Les propos de ces directeurs véhiculent enfin un enseignement : savoir parler, parler bien ou se taire, car l’homme ne doit pas parler, parce qu’il a une bouche. Plus de quarante années après la riche expérience des collèges d’enseignement moderne agricole (Cema), le Bénin mérite mieux que le Lta de Kika. Kika inspire en outre les analyses suivantes: i- la question de la formation ne semble pas être un enjeu majeur, parce qu’il est d’une évidence absolue que l’apprenant qui a vécu dans les conditions de formation décrites ci-dessus ne peut être compétitif, pas plus qu’il ne peut acquérir des compétences pour l’exercice d’une bonne carrière ; ii-les raisons qui président à l’ouverture d’un centre de formation au Bénin ne prennent pas forcément en compte un profil de sortie qui valorise la qualité des ressources humaines  iii- pour l’administration du lycée, l’utilisation des équipements didactiques n’est pas indispensable dans l’apprentissage, les conditions matérielles des apprenants étant un facteur déterminant de la qualité de la formation ; iv- l’enseignant qui accepte de diriger un établissement dans les conditions décrites ci-dessus, croit assurément au miracle. Il ne bénéficierait d’aucune situation atténuante si le miracle ne venait pas au rendez-vous; v-le Lta de Kika apparaît comme un creuset qui élargit le fossé entre la formation et l’emploi; vi- aucune raison ne peut justifier la mise en service du Lta de Kika dans  l’état qui est décrit.

 

A quoi servent les milliards que le gouvernement engloutit dans le secteur de l’enseignement tous les ans  si les choses devraient en rester là ? On a plus de raisons de s’interroger sur la qualité des dépenses engagées. De toute évidence, la chanson des milliards fredonnée fréquemment tel un refrain ne saurait dédouaner le gouvernement de son indisponibilité à ambitionner et à mettre en oeuvre une politique cohérente qui favorise l’éclosion d’un système éducatif performant. L’école est un chantier complexe et difficile dont l’étendue des besoins est sans limite ; c’est l’école qui forme à la vie et pour la vie. L’économie ne saurait être un prétexte pour freiner sa marche.

 

 Les situations à Anavié comme à Kika mettent à mal l’efficacité du processus de l’enseignement/apprentissage/évaluation. Le directeur de Anavié qui se laisse faire devant l’anarchie qui se répand dans son établissement renvoie à une relecture de la mission du chef d’établissement scolaire et de l’école. On ne serait pas étonné qu’une situation comme celle-là se passât dans l’indifférence quasi totale de ceux qui sont chargés de réguler le fonctionnement du monde scolaire. 

 

C’est à l’Etat qui a l’obligation constitutionnelle de «  garantir l’éducation des enfants et de créer des conditions favorables à cette fin » de s’assumer. En effet, depuis 1990, les différentes politiques disent faire de l’éducation la première priorité de l’Etat. Cette profession de foi n’a véritablement été accompagnée d’actes de grande ampleur, et les actions accomplies sur le chemin de l’école défient l’entendement. Le vide autour de cet engagement, additionné aux actes impromptus fait subir à l’école le poids de l’irrationnel. Kika en est une illustration. Pour s’être invitée dans le champ de la propagande, l’école s’est écartée de sa mission. Les recrutements massifs d’enseignants sans qualification professionnelle à la veille des consultations électorales de 2011 sont à cette fin et nous renvoient à plus de trente années en arrière avec le phénomène de jeunes instituteurs révolutionnaires. Depuis 1982, on avait pensé à tort que le Bénin avait mis un terme au recrutement sans formation de base des titulaires du bepc et du baccalauréat en qualité d’enseignants du primaire et du secondaire. Près de vingt cinq ans après, les décideurs rebroussèrent chemin en faisant l’option des contractuels locaux. Le recrutement de cette catégorie d’agents qui a supplanté l’entrée dans la fonction publique par voie de concours, enregistre déjà des cas de faux diplômes. De plus, les contractuels locaux constituent un problème pour le système : les séquelles engendrées par cette génération spontanée d’enseignants déteindront sur le devenir du Bénin et de la jeunesse. En somme, l’enseignement est devenu un pis-aller pour la plupart des diplômés sans emploi. La solution de replâtrage ou de rafistolage permanente est la preuve que les gouvernements successifs peinent à faire de l’école la première priorité. A l’instar de Sisyphe, voici notre école condamnée à un perpétuel recommencement.

 

L’enseignement supérieur ne semble pas être à l’abri des valses. Le Bénin avec ses deux grandes universités et les faiblesses liées aux conditions d’études,  se targue d’avoir en projection pour 2015, la création de 22 centres universitaires. Le saupoudrage du territoire de centres universitaires aux conditions d’études et de formation exécrables est en soi un échec de la politique de l’éducation. Il y a à douter que l’université de Parakou qui peine à trouver ses marques, soit en mesure de rayonner sur des centres relevant de sa juridiction. Peine perdue pour qui prétend, dans sa position accroupie et courbée, porter l’enfant sur ses jambes, dit un adage béninois. Les résultats qui découleraient de la politique de création touts azimuts de centres universitaires sont prévisibles. Quel genre d’espoir pourrait par exemple susciter l’école nationale des sciences et techniques agronomiques (Ensta) de Kétou si au terme de trois années d’existence, l’état des lieux est ainsi qu’il suit : l’Ensta ne dispose pas d’infrastructures propres. Elle loge dans les locaux de la maison des jeunes et du palais royal : pas de centre de documentation et d’information ; la connexion au réseau internet wifi n’a été effective qu’en juin 2012. Entre-temps, les thèmes de recherche répartis par groupes d’étudiants, faisaient l’objet de business pour ceux  des étudiants dont les téléphones portables sont connectés à l’internet ; pas de personnel enseignant affecté, etc. Avouons que c’est trop. Et pourtant, ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent  dans les pays du nord auxquels nous aimons à nous identifier.  La surpopulation de l’université d’Abomey-calavi justifie la création de nouvelles universités et de nouveaux centres universitaires. Faute de satisfaire aux conditions minima, ces créations qui sortent de terre comme des champignons risquent de ne pas atteindre leur objectif principal à savoir, former des ressources humaines de qualité. C’est pourquoi, l’université qui est censée être un  haut lieu du savoir, ne devrait pas s’accommoder des options qui mettent à mal le développement. Il y a des raisons de s’inquiéter lorsque l’élite intellectuelle devient permissive à tout. La rigueur qui est l’une des caractéristiques de l’homme de science semble s’échapper de l’univers des pays pauvres très endettés.

 

Que retenir de tout cela ? Sinon que l’école béninoise est malade. Elle est malade de ce qu’elle tend à devenir un lieu de formation d’ignorants ou de diplômés sans compétence. Elle est malade des décisions et comportements de ses dirigeants qui l’assomment chaque fois et la fourvoient. Elle est malade de l’absence d’une assistance de qualité. Je voudrais à ce sujet trouver grâce auprès de ces hommes aussi rares que les larmes de chien, dévoués à la cause de l’école, qu’on retrouve heureusement au niveau du corps de contrôle et d’encadrement, des chercheurs et professeurs qui font des choses remarquables. Leur engagement pour la qualité de l’école mérite admiration et considération. Car l’école malade, c’est le rendez-vous du développement qui est compromis. C’est pourquoi l’école doit rester debout en permanence et s’illustrer comme un véritable lieu de formation, un centre du savoir. Il serait superflu de penser y avoir suffisamment investi à un moment où tout semble à refaire. Encore que chaque  dépense engagée au profit de l’école doit être justifiée à travers sa pertinence L’acte de naissance d’une école n’est pas une condition suffisante de son développement et de sa promotion. Il faut en faire un creuset de la science et de la culture. Des acquis existent et pourraient contribuer à l’érection de ce boulevard. Le combat pour l’école est digne d’intérêt. Par conséquent, il mérite d’être mené ici et maintenant. Penons-y toute notre part pour la renaissance de l’école.

 

 

 

                                                                                  Paul C. ABITAN

 

 

 

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